Ce n’est pas encore la conclusion de la crise diplomatique ouverte entre Bamako et Abidjan, mais la libération, le 3 septembre, de trois soldates ivoiriennes pourrait ouvrir la voie à celle de leurs 46 frères d’armes, détenus depuis près de deux mois au Mali.
Awa Bakayoko, Sita Bamba et Adèle Kangah Blédou ont regagné la Côte d’Ivoire, leur pays, samedi soir, a annoncé Robert Dussey, le ministre des affaires étrangères togolais, qui a salué « un geste humanitaire du président Assimi Goïta », à la tête de la junte malienne. Entouré pour l’événement d’Abdoulaye Diop, son homologue malien, et de Fidèle Sarassoro, le directeur de cabinet du chef de l’Etat ivoirien, Robert Dussey, peut aussi se prévaloir d’une première avancée de la médiation togolaise dans cette affaire qui a crispé les relations entre les deux voisins ouest-africains.
Selon nos informations, un accord de principe pour la libération de l’ensemble des militaires dépêchés par Abidjan a été obtenu ces derniers jours, mais « des engagements sont encore à prendre », pour que celui-ci soit mis en œuvre, explique une source togolaise. Parmi les demandes de la partie malienne figure notamment la volonté que la Côte d’Ivoire se montre moins hospitalière avec les opposants au régime de transition malien. « Bamako pense qu’ils utilisent Abidjan pour les déstabiliser. Le Mali voudrait au moins qu’ils se taisent », précise la même source à Lomé.
« Des manquements et des incompréhensions »
Si samedi, par la voix de Fidèle Sarassorro, la Côte d’Ivoire s’est engagée « à poursuivre, de manière transparente et constructive avec le Mali, les échanges et les discussions sur tous les sujets d’intérêt commun » et a déploré que « des manquements et des incompréhensions aient été à l’origine de cet événement fortement regrettable », plusieurs sources officielles sur place rejettent toute possibilité d’excuses officielles ou d’un compromis de cet ordre.
« Boubou Cissé réside au Niger, Tiéman Coulibaly est en France [un ancien premier ministre et un ex-ministre malien sous le coup d’un mandat d’arrêt international] et pour Karim Keïta [le fils de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta qui s’est réfugié à Abidjan après le renversement de son père] nous n’avons aucune garantie qu’il ne soit pas pendu haut et court si on le leur livre », prévient un proche du président Alassane Ouattara. « Il y a peut-être eu des erreurs administratives de l’ONU mais pas de notre part. Nous n’avons rien à nous reprocher et nous attendons juste que l’on nous rende nos soldats », ajoute un autre.
Ces 49 militaires avaient été arrêtés le 10 juillet aussitôt après leur arrivée à l’aéroport Modibo-Keïta de Bamako, puis accusés le lendemain d’être des « mercenaires » venus avec le « dessein funeste » de « briser la dynamique de la refondation et de la sécurisation du Mali, ainsi que du retour à l’ordre constitutionnel ».
Abidjan a toujours affirmé que ses soldats avaient été envoyés au Mali dans le cadre d’opérations de soutien logistique à la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), la justice malienne les a néanmoins inculpés un mois plus tard d’« association de malfaiteurs, d’attentat et complot contre le gouvernement, d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat, de détention, port et transport d’armes de guerre et complicité de ces crimes », laissant craindre une crise de longue durée du côté de la Côte d’Ivoire.
L’ombre de la Russie
Depuis, plusieurs médiations et missions de bons offices ont été lancées. Le 15 août, Macky Sall, le chef de l’Etat sénégalais et président en exercice de l’Union africaine, avait abordé le sujet avec le colonel Assimi Goïta lors de sa visite à Bamako. Samedi, le putschiste burkinabé Paul-Henri Damiba est allé également plaider la cause des Ivoiriens, qui lui témoignent une bien plus grande bienveillance qu’à l’égard de la junte malienne.
A Abidjan, la détention des 49 soldats a été interprétée comme une mesure de représailles après que le président Ouattara a affiché une certaine fermeté vis-à-vis des militaires maliens au sein de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest. L’un de ses proches craint également que la Russie, dont les paramilitaires de Wagner sont déployés au côté de l’armée malienne depuis janvier, soit à la manoeuvre. « Moscou, dit-il, veut peut-être nous faire payer notre position aux Nations Unies. » En plus d’être l’un des meilleurs alliés de Paris dans la région, Abidjan avait voté, en mars, la résolution condamnant l’agression de l’Ukraine par la Russie.