Côte d’Ivoire : décès d’Angelo Papa, voix majeure d’Aboutou Roots et figure du Youssoumba

Le showbiz ivoirien est en deuil. Angelo Papa, chanteur principal du groupe Aboutou Roots et figure majeure du Youssoumba, est décédé après une longue période de maladie. Sa disparition met fin à une voix qui, pendant plus de trois décennies, a façonné une partie essentielle de la culture musicale ivoirienne. Retour sur le parcours d’un artiste dont le timbre, l’énergie et l’humanité ont marqué des générations de mélomanes.

Un décès qui attriste toute la Côte d’Ivoire culturelle

La nouvelle est tombée tôt dans la matinée du 3 décembre 2025 : Angelo Papa, de son vrai nom largement consacré par le public ivoirien, n’est plus. L’artiste est décédé au Centre Hospitalier Universitaire de Treichville, selon plusieurs sources proches de la famille et du milieu culturel. Les hommages se multiplient depuis, rappelant la stature d’un homme discret, profondément aimé, et considéré comme l’une des voix les plus singulières de la musique ivoirienne contemporaine.

Selon les différents témoignages recueillis, l’artiste luttait depuis plusieurs mois contre une maladie sévère. Dans un entretien accordé quelques semaines plus tôt, il révélait souffrir d’un cancer diagnostiqué tardivement, après un premier accident vasculaire cérébral survenu en septembre 2024. Ce premier AVC l’avait plongé dans le coma avant qu’il ne reprenne conscience, regagne son domicile, puis rechute un an plus tard.

Qui était Angelo Papa ? Une voix unique au service du Youssoumba

Figure fondatrice du groupe Aboutou Roots, Angelo Papa fut l’une des grandes voix ayant porté le Youssoumba, ce genre musical né dans les villages côtiers de Côte d’Ivoire, à mi-chemin entre tradition chorale, rythmes percussifs et improvisation vocale moderne. Avec son binôme Akess Bilo et leurs complices de scène, il formait une alchimie rare, un équilibre vocal qui a profondément marqué les années 1990 et 2000.

Ses interprétations — souvent intenses, toujours habitées — faisaient de lui un chanteur respecté au-delà des frontières ivoiriennes. Il incarnait cette énergie brute qui attirait des foules entières, une manière de chanter les blessures et la résilience qui résonnait dans le vécu quotidien des Ivoiriens. Le groupe Aboutou Roots, dont il était la voix principale, signa plusieurs albums cultes dont Côte d’Ivoire la blessure, un classique distribué à l’international et devenu emblématique des sonorités ivoiriennes de la décennie.

Un artiste qui a traversé la scène ivoirienne avec dignité

Dans la longue interview qu’il avait accordée à la télévision ivoirienne (NCI), Angelo Papa revenait avec franchise sur ses mois de maladie. Il y parlait des douleurs, des traitements lourds, mais aussi de la solidarité du public et du soutien de plusieurs acteurs culturels. Il évoquait le manque d’équipements adaptés à son traitement en Côte d’Ivoire, son souhait d’être évacué vers l’Europe pour des soins spécialisés, et la campagne lancée par sa femme pour financer cette évacuation.

Touché par cette détresse, le ministère de la Culture et de la Francophonie s’était mobilisé. Mais malgré les efforts, la maladie a fini par l’emporter.

Aboutou Roots : un héritage musical indélébile

Avec Aboutou Roots, Angelo Papa a contribué à moderniser et internationaliser le Youssoumba, un genre qui n’avait que très peu de visibilité médiatique avant les années 1990. Le groupe devint un phénomène populaire, un pont entre les sonorités villageoises et les grandes scènes urbaines.

Ils ont donné un visage, un rythme et un langage à toute une génération d’amateurs de musique africaine, et leurs compositions — souvent inspirées du quotidien ivoirien — continuent d’être diffusées dans les maquis, les boîtes de nuit, les radios locales et les cérémonies traditionnelles.

Un décès qui interroge sur la protection sociale des artistes africains

La disparition d’Angelo Papa relance un débat devenu récurrent dans plusieurs pays africains : la fragilité du statut des artistes. Malgré leur contribution essentielle à l’identité culturelle du continent, nombre d’entre eux font face à des conditions de vie précaires, un accès limité aux soins, l’absence de couverture médicale, et des difficultés structurelles de prise en charge.

La mobilisation tardive autour de l’état de santé d’Angelo Papa met en lumière les défis persistants d’un secteur artistique peu soutenu, pourtant vital dans l’architecture culturelle ivoirienne.

Un artiste salué avec respect et reconnaissance

De nombreux visages de la scène musicale ivoirienne et ouest-africaine ont exprimé leur tristesse. Pour beaucoup, Angelo Papa restera un “passeur”, un gardien du Youssoumba, un homme dont la simplicité masquait une profonde exigence artistique. Son sourire, sa générosité et son humilité ont marqué tous ceux qui l’ont côtoyé.

Au-delà de la musique, Angelo Papa laisse le souvenir d’un homme déterminé, digne, conscient de son rôle dans la transmission d’un héritage culturel. Sa voix, reconnaissable entre toutes, continuera de vivre dans les archives, les concerts filmés, les cassettes audio des années 1990 et la mémoire de millions de fans.

Un héritage qui survivra au temps

La disparition d’Angelo Papa n’est pas seulement celle d’un chanteur : c’est la perte d’une part vivante du patrimoine musical ivoirien. Avec lui s’éteint une voix qui a raconté les joies, les colères, les blessures et les espoirs d’un peuple. Mais son héritage demeure, vibrant, indestructible, au cœur du Youssoumba qui continue de résonner dans les villages, les villes et les lieux de fête.

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Boubakar Sidibé, alias Boub’s SiDiBÉ, est photojournaliste, producteur de contenus et spécialiste des dynamiques sociopolitiques du Sahel. Il travaille sur les enjeux politiques, culturels et sécuritaires en Afrique de l’Ouest.
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